Et les responsables religieux, qu’en pensent-ils?
Hafid Ouardiri, directeur de la fondation pour l’Entre-connaissance
«En ce qui concerne l’islam, je considère ce traitement très négligeable tant sur la quantité que sur la qualité. Cette religion est souvent malmenée et ce à cause d’une grande méconnaissance de la part d’un grand nombre de journalistes. Dieu merci heureusement, il existe des journalistes soucieux de connaître et de comprendre pour informer.
L’islam n’intéresse souvent que quand il crée problème, et c’est malheureusement très exagéré surtout quand on n’arrive pas à faire la distinction entre ce qu’il est vraiment et l’ignorance sacrée qui se greffe sur lui.
En dehors des médias spécialisés qui sont souvent «religieux», le traitement des religions en général est fait avec beaucoup de méconnaissance et d’à peu près. Espérant qu’à l’avenir on réservera à la religion la place qu’elle mérite dans la société dans le domaine du savoir et de l’information intelligente.»
Jean-Baptiste Lipp, président de la Conférence des Églises réformées de Suisse romande
«La religion en général est plutôt bien traitée dans les médias romands, en regard par exemple de la France dont la laïcité en fait un tabou. Mais le protestantisme, notamment réformé, passe nettement sous les radars médiatiques en regard du catholicisme.
Le protestantisme résiste, dans son ADN, à se doter de porte-paroles (comme on en trouve dans le catholicisme), et favorise ipso facto une culture des «prend-parole». Mais ceux-ci, celles-ci, en prenant la parole en leur propre nom, renforcent l’individualisme et l’illisibilité du protestantisme.
La question religieuse devrait, aux yeux de certains, y compris du côté réformé, être élargie à la question plus large de la spiritualité (les religions n’en ayant pas le monopole). Mais peut-on noyer le poisson de la religion dans la question de la spiritualité, quand bien même chaque religion devrait y contribuer?»
François-Xavier Amherdt, abbé et professeur de théologie à l’Université de Fribourg
«De manière générale, alors qu’on annonçait la mort de Dieu il y a quelques décennies déjà, la «religion» occupe un espace assez important dans l’espace médiatique, souvent sous l’angle des scandales ou de la violence qu’elle suscite. Pour les médias, la «spiritualité» est dans le vent, alors que se réclamer d’une religion traditionnelle fait souvent dépassé ou obscurantiste, au nom d’un laïcisme exacerbé. D’où une tendance à la dérision, surtout vis-à-vis du christianisme – en témoigne la récente série de la TSR La vie de JC.
L’Église catholique reçoit une forte visibilité, du fait de la figure pontificale généralement bien reçue et, hélas, du dramatique problème des abus. Certains y voient un acharnement idéologique de la part des organes de presse: à mon avis, elle n’est pas davantage la cible des médias que n’importe quelle autre institution. Et comme pour le reste des communautés, on peut avoir l’impression qu’on parle davantage de ce qui ne va pas que des belles réalités.»
François Garaï, rabbin de la Communauté juive libérale de Genève
«En règle générale, le judaïsme est traité de façon objective. L’intérêt qu’on porte au judaïsme a deux pans: le pan religieux et le pan israélien. Ce dernier est la conséquence du fait que le judaïsme est l’expression religieuse majoritaire en Israël dans un pays où le religieux est pourvu de certains pouvoirs administratifs. En ce qui concerne le judaïsme, cela crée une confusion entre Israéliens et juifs. Les premiers peuvent ne pas être juifs et les second ne pas être Israéliens.»
Pascal Gemperli, secrétaire général de l’Union vaudoise des associations musulmanes
«Le traitement de l’islam et de la communauté musulmane dans les médias n’est pas en phase avec la réalité. Dans certaines émissions phares, « notre » occupation de l’espace médiatique sur l’ensemble des sujets religieux est de 80%, alors que nous ne faisons que 5% de la population. D’habitude, ces thématiques sont négatives et portent sur des phénomènes marginaux. Néanmoins, je constate une évolution positive concernant les connaissances des journalistes sur l’islam ces dix dernières années.
De façon générale pour les religions, il me semble y avoir un grand décalage entre des émissions, voire des médias, qui portent un regard objectif et informatif sur l’ensemble de la réalité des religions, d’autres se limitent aux thématiques conflictuelles. L’opinion publique dépend donc de qui consomme quoi. Globalement, on peut dire que les médias publics, grâce à leur mandat, couvrent les faits religieux de façon beaucoup plus objective et pédagogique. Cela représente un vecteur important pour la cohésion sociale et la paix religieuse.»
Eva Di Fortunato, présidente de l’Église protestante de Genève
«Le traitement de notre Église et de sa communauté par les médias se fait d’une part occasionnellement via la mise en avant d’activités et d’initiatives en lien avec la spiritualité, tels que des débats et conférences organisés par l’Église, et d’autre part, via le traitement de questions de société, quand celles-ci concernent directement notre institution, comme par exemple lors des votations autour du mariage pour tous.
Au-delà, il me paraît évident que le traitement est le même que pour toute autre institution ou organisation: les médias vont se focaliser sur ce qui va pouvoir intéresser leur audience et sur leur devoir d’informer. Il y a évidemment un décalage entre ce que nous souhaiterions parfois mettre en avant en tant qu’église, comme la richesse de ce que fait notre église, et d’un autre côté les choix éditoriaux des médias, que nous ne pouvons que respecter.»
Jean-Luc Ziehli, président du Réseau évangélique suisse
«La perspective dépend des différents médias. La presse séculière nous traite avec certains préjugés et parfois une difficulté de compréhension de certaines actions évangéliques.
Les médias réformés, quant à eux, parlent des évangéliques avec leur propre vocabulaire qui n’est pas adapté, ou en tout cas différent, de celui des milieux évangéliques. De leur côté, les médias catholiques soulignent souvent l’engagement, le prosélytisme et la créativité musicale de nos milieux. L’alignement éthique assez proche entre nos deux confessions fait que nous sommes parfois cités comme des alliés.»