Les enquêtes le montrent: adhérer à aucune religion ne signifie pas pour autant faire une croix sur sa vie spirituelle. Mais de quoi cette spiritualité se nourrit-elle, et comment s’articule-t-elle avec et en dehors des religions établies? Le point avec différents spécialistes.
Moins de deux siècles après Nietzsche, Dieu serait mort pour près d’un Suisse sur trois. En effet, selon les derniers chiffres de l’Office de la statistiques suisse (OFS), 30,9% de la population se déclare être «sans-religion». Une catégorie qui ne cesse d’ailleurs de croître depuis 1970 et dans laquelle, sans trop de surprise, les jeunes générations se révèlent majoritaires.
«Les personnes sans religion sont en moyennes plus jeunes que les personnes affiliées à une religion, une interaction qui s’observe également dans d’autres pays, comme l’Allemagne et l’Angleterre, mais aussi au Canada et aux Etats-Unis», atteste le sociologue Pascal Tanner, auteur d’une étude socio-démographique sur le sujet. Une tendance qui, à ses yeux, n’est d’ailleurs pas prête de s’arrêter: «Ce n’est qu’une question de temps avant qu’une majorité de la population suisse soit sans appartenance religieuse.»
Athéisme plafonné à 4%
Est-ce à dire que ces personnes auraient pour autant fait une croix sur leur spiritualité? Rien n’est moins sûr. «Il y a très peu de personnes qui ne croient en rien», formule tout-de-go François Gauthier, socio-anthropologue des religions à l’Université de Fribourg. «Le taux d’athéisme plafonne depuis toujours. Il ne dépasse jamais 4% de la population, même dans les pays où il est le plus élevé», indique-t-il.
Même son de cloche du côté du chercheur français Claude Dargent, professeur de sciences politiques spécialisé dans les religions et systèmes de valeurs. «Une part substantielle des personnes se déclarant sans religion disent croire dans une vie après la mort, au paradis, à l’enfer ou à la réincarnation», observe-t-il. Et de préciser: «Ces croyances ne sont d’ailleurs pas moins répandues chez les jeunes que chez leurs aînés, et y sont même en forte croissance en France.» De fait, «ne se retrouver dans aucune religion ne signifie pas pour autant ne pas avoir de croyances», résume François Gauthier. La religiosité des sans-religion s’exprime simplement à distance des Églises chrétiennes et des confessions instituées.»
Libres de butiner
«Ce qui prédomine aujourd’hui, surtout chez les jeunes générations, c’est la volonté de décider pour soi-même, et de ne plus laisser les institutions décider à sa place», formule Irene Becci, professeure de sociologie et d’anthropologie à l’Institut des sciences sociales des religions de l’Université de Lausanne. Loin des cases pré-établies, les «sans-religion» se laissent libres de «butiner ici ou là, en passant d’une expérience spirituelle à une autre en fonction de leurs amitiés ou de leurs lectures», expose-t-elle.
Une liberté rendue possible notamment par le fait que «les parents de ces individus n’appartenaient déjà plus, ou que partiellement, à une communauté religieuse», présente Pascal Tanner. Il s’explique: «Pendant plusieurs décennies, le changement du paysage religieux a surtout été marqué par le fait que les gens se distancient de l’Eglise. Les nouvelles générations, elles, ne savent plus ce que cela signifie de faire un tel choix: elles ont toujours été en dehors.»
Dans ce melting-pot personnel peuvent ainsi se combiner des éléments relevant tour à tour de traditions orientales, de spiritualités alternatives, de philosophies plus ou moins ancestrales ou encore de religions établies. «La spiritualité ne répond pas au diktat des croyances exclusives», formule François Gauthier. Sur ce terrain, il n’y a ainsi plus une vérité à laquelle adhérer collectivement, mais des sagesses à combiner sur le modèle du sur-mesure.
Trouver son soi authentique
Comme les religions, les différentes formes de spiritualités ont en commun «le refus d’une vision matérialiste du monde», résume Claude Dargent. Irene Becci parle, pour sa part, de «visions transcendantes de la vie humaine». Pour autant, la différence est de taille: il ne s’agit plus ici d’obtenir son salut, promesse de vie éternelle pour l’au-delà, mais de «se réaliser soi-même», de trouver son épanouissement personnel dans l’ici et le maintenant. «Il y une matrice commune à toutes ces croyances, du chamanisme au paganisme en passant par l’animisme: l’idée que c’est en réalisant son potentiel qu’on sera en lien avec la vie et l’univers», résume François Gauthier.
De fait, «l’ancrage ne se fait plus par rapport à une tradition ou institution mais davantage au niveau personnel», stipule Irene Becci. «Ces personnes poursuivent une quête d’un soi authentique, d’une émotion, d’expériences vécues. Elles vont beaucoup parler de l’immanence, de l’importance de vivre le présent en toute conscience.» Preuve en est d’ailleurs le succès des stages chamaniques, séances d’ésotérisme et autres rituels de néo-paganisme ou de sorcellerie.
La nature et ses cycles
Pour autant, «à l’échelle de l’histoire de l’humanité, ces pratiques ne sont pas nouvelles», tient à rappeler le socio-anthropologue François Gauthier. Et d’interpeller: «La normalité de la croyance religieuse ne s’est pas toujours vécue sur le mode de l’appartenance exclusive et de la pratique dominicale.» S’il est d’usage de parler de sécularisation pour évoquer le déclin des religions traditionnelles, on assisterait plutôt, à ses yeux, à une sorte de retour à l’animisme, soit aux spiritualités qui avaient prévalence avant la naissance des trois monothéismes, à l’instar des croyances amérindiennes avant le colonialisme par exemple. «On quitte cette conception de deux mondes distincts, l’ici-bas et l’au-delà, pour renouer avec une vision où ceux-ci s’entremêlent, les esprits et Dieu habitant notre réalité», décrit-il. Il n’est donc pas étonnant de voir ainsi réapparaître en force toutes ces croyances mettant en avant la référence à la nature. «Aujourd’hui la spiritualité se vit dans un lien très fort avec l’écologie», relève-t-il encore.
En conclusion, et d’une manière générale, que révèlent ces religiosités qui ne disent pas leur nom? «Ces spiritualités sont l’expression de ce besoin religieux universel qui a été démontré par les sociologues américains du marché religieux», pose le chercheur français Claude Dargent. Et de préciser que «ce besoin se traduit en fonction de l’offre religieuse existante. Cependant il n’y a pas à long terme d’évolution inéluctable depuis un passé religieux vers un avenir qui ne le serait pas. Ce sont des mouvements cycliques.»
Soutenez le Journal Chrétien (et réduisez vos Impôts)
La mission du Journal Chrétien est de diffuser gratuitement les valeurs de l’Évangile. Alors si vous estimez que notre mission est indispensable, vous pouvez nous soutenir à la mesure de vos moyens.
NB. Vos dons sont déductibles d’impôts à 66% pour les particuliers et à 60% pour les entreprises
Le Journal Chrétien est un média d’espérance qui passe l’information au tamis de l’Évangile. Il parle des joies et des espoirs ainsi que des tristesses et des angoisses des femmes et des hommes de notre temps.
CHOISISSEZ LA NEWSLETTER EN FONCTION DE LA THÉMATIQUE QUI VOUS INTÉRESSE DANS LE JOURNAL CHRÉTIEN
A propos de l'auteur
Anne-Sylvie Sprenger, Protestinfo
Protestinfo est une agence de presse spécialisée dans l’actualité des Églises réformées de Suisse romande. Elle diffuse une information libre et loyale touchant également aux questions d’éthique, de société et de spiritualité.
Grâce à ses partenaires internationaux, la rédaction propose également Protestinter, une ouverture sur l’actualité internationale des Églises.
Le site de l'agence ne s'adresse qu'aux journalistes, mais tout son contenu est proposé aux lecteurs sur le site Réformés.ch
Soutenez le Journal Chrétien (et réduisez vos Impôts)
La mission du Journal Chrétien est de diffuser gratuitement les valeurs de l’Évangile. Alors si vous estimez que notre mission est indispensable, vous pouvez nous soutenir à la mesure de vos moyens.
NB. Vos dons sont déductibles d’impôts à 66% pour les particuliers et à 60% pour les entreprises
This website uses cookies to improve your experience while you navigate through the website. Out of these, the cookies that are categorized as necessary are stored on your browser as they are essential for the working of basic functionalities of the website. We also use third-party cookies that help us analyze and understand how you use this website. These cookies will be stored in your browser only with your consent. You also have the option to opt-out of these cookies. But opting out of some of these cookies may affect your browsing experience.
Necessary cookies are absolutely essential for the website to function properly. These cookies ensure basic functionalities and security features of the website, anonymously.
Cookie
Durée
Description
cookielawinfo-checkbox-analytics
11 months
This cookie is set by GDPR Cookie Consent plugin. The cookie is used to store the user consent for the cookies in the category "Analytics".
cookielawinfo-checkbox-functional
11 months
The cookie is set by GDPR cookie consent to record the user consent for the cookies in the category "Functional".
cookielawinfo-checkbox-necessary
11 months
This cookie is set by GDPR Cookie Consent plugin. The cookies is used to store the user consent for the cookies in the category "Necessary".
cookielawinfo-checkbox-others
11 months
This cookie is set by GDPR Cookie Consent plugin. The cookie is used to store the user consent for the cookies in the category "Other.
cookielawinfo-checkbox-performance
11 months
This cookie is set by GDPR Cookie Consent plugin. The cookie is used to store the user consent for the cookies in the category "Performance".
viewed_cookie_policy
11 months
The cookie is set by the GDPR Cookie Consent plugin and is used to store whether or not user has consented to the use of cookies. It does not store any personal data.
Functional cookies help to perform certain functionalities like sharing the content of the website on social media platforms, collect feedbacks, and other third-party features.
Performance cookies are used to understand and analyze the key performance indexes of the website which helps in delivering a better user experience for the visitors.
Analytical cookies are used to understand how visitors interact with the website. These cookies help provide information on metrics the number of visitors, bounce rate, traffic source, etc.
Advertisement cookies are used to provide visitors with relevant ads and marketing campaigns. These cookies track visitors across websites and collect information to provide customized ads.