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Les premières femmes pasteures étaient toutes célibataires

L’universitaire genevoise Lauriane Savoy publie «Pionnières – comment les femmes sont devenues pasteures» aux Editions Labor et Fides. Retour sur un long chemin vers l’égalité.
Etre pasteure, et non plus épouse ou fille de pasteur – telle est la bataille menée par ces pionnières du début du XXe siècle que retrace la chercheuse genevoise Lauriane Savoy dans «Pionnières» (Ed. Labor et Fides). A Genève, la première consécration de femme pasteure remonte à 1928; sur le canton de Vaud, il faudra attendre 1972. Près de quatre décennies pour que le ministère féminin soit complètement approuvé. Récit.

Qui étaient ces pionnières qui ont ouvert la voie?

La plupart étaient filles, petites-filles ou nièces de pasteurs. Elles ont grandi au plus près de cette profession et cela a naturellement éveillé des vocations. C’est notamment le cas de la pionnière genevoise Marcelle Bard, dont le père était pasteur et professeur de théologie à l’université. Elle raconte que, déjà toute petite fille, elle prêchait devant les chaises vides de la salle à manger. À l’adolescence, son père la mettra d’ailleurs à l’épreuve en lui demandant de raccompagner un ivrogne ensanglanté à son domicile: «Tu veux être pasteure? Prouve-le!»

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Partageaient-elles aussi un même profil social?

Ce sont plutôt des femmes qui viennent de milieux bourgeois ou de la petite bourgeoisie – soit des milieux dans lesquels on peut se permettre de faire des études universitaires. Entre 1920 et 1960, toutes les femmes pasteures se révèlent également célibataires. Marcelle Bard ne fait pas exception, à la nuance près qu’elle se marie en 1930 et divorce deux ans plus tard. À cette époque, une femme doit encore choisir entre carrière et mariage. De plus, le pastorat nécessite d’être très disponible pour sa communauté. On pensait alors que les mères de famille ne pouvaient pas avoir une telle disponibilité.

On se basait sur de pseudo-évidences biologiques: «L’homme féconde, la femme est fécondée»

Quels genres de réactions ont dû affronter ces pionnières?

Elles ont dû faire face à des discours théologiques s’opposant à l’accès des femmes au pastorat, comme «Jésus était un homme, et il a choisi 12 apôtres qui étaient tous des hommes». Ou encore le rappel de certains passages bibliques stipulant que les femmes ne pouvaient assumer une position de leadership. Mais plus encore que des arguments théologiques, elles ont surtout rencontré des arguments en lien avec la place des femmes et des hommes dans la société et l’idée que les hommes sont faits pour diriger et détenir le pouvoir, tandis que les femmes sont faites pour aider et servir. Dans les années 1930-1950, on se reposait même sur de pseudo-évidences biologiques pour justifier cette vision des choses: «L’homme féconde, la femme est fécondée» – soit les hommes sont actifs et les femmes passives.

Et au-delà des discours?

La principale difficulté a été de faire sa place dans un métier qui était exclusivement masculin. Cela n’a certainement pas dû être facile pour Marcelle Bard de rester pendant plusieurs décennies la seule femme dans la Compagnie des pasteurs de l’Église protestante de Genève! Au cours de mon enquête, j’ai cependant découvert que les femmes pasteures ont souvent été plutôt bien reçues au sein des communautés. Si elles faisaient face parfois à l’étonnement de certains paroissiens et paroissiennes, elles ont rarement dû affronter de l’hostilité. La situation était plus compliquée avec leurs collègues pasteurs…

Dans un premier temps, on leur ouvre des ministères spécifiquement féminins. C’est-à-dire?

Pendant les deux premiers tiers du XXe siècle, on a dirigé les femmes plutôt vers une fonction d’assistante de paroisse, soit au service des pasteurs. Elles soulageaient les ministres dans les tâches de secrétariat ou la prise en charge des visites aux paroissiens et paroissiennes que ceux-ci n’arrivaient plus à suivre. En voyant que des femmes voulaient s’engager professionnellement dans les Eglises, les pasteurs et les autorités ecclésiales se sont dit que cela pouvait être une bonne formule.

Qu’en est-il de leur formation?

On a ouvert pour elles, en 1917, à Genève, une filière de formation plus courte que le cursus classique en théologie, sans l’étude des langues bibliques et d’autres enseignements que l’on pensait inutiles pour les tâches qu’on pensait adaptées à leurs capacités. Cette formation a attiré beaucoup de femmes de Suisse romande, mais aussi de France, de Belgique et parfois de plus loin encore. Ces femmes ont été formées à être assistantes de paroisse, ou encore pour s’engager dans la mission sur d’autres continents ou diriger des foyers ou des institutions sociales – des fonctions jugées plus adéquates pour des femmes.

Le nerf de la guerre était la prédication publique de la Parole

N’était-ce pas, finalement, une façon détournée de les empêcher d’accéder à la chaire?

Absolument. Le nerf de la guerre était la prédication publique de la Parole, ainsi que le rôle d’autorité. Ce qui est cependant étonnant c’est qu’alors qu’on ouvre l’Institut des ministères féminins, les femmes accèdent à la même époque aux études de théologie. D’ailleurs, la pionnière Marcelle Bard a préféré faire le cursus classique. Quand elle a eu son diplôme, l’Eglise protestante de Genève a bien été obligée de se positionner. La question a été débattue au Consistoire, qui a décidé d’ouvrir le pastorat aux femmes en 1928.

Le canton de Genève a donc été pionnier en la matière?

Tout à fait, la première consécration a eu lieu en 1929. Cela peut sembler précoce par rapport à l’Eglise vaudoise, où il faudra attendre quatre décennies, soit 1972, pour voir le pastorat s’ouvrir aux femmes. N’oublions pas cependant que la petite Eglise libre du même canton a ouvert le pastorat aux femmes en 1931, avec la pionnière Lydia von Auw. Pour autant, à Zurich, les premières femmes pasteures de Suisse ont été consacrées à partir de 1918.

Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps sur le territoire vaudois?

Il y a eu beaucoup de résistances et d’hostilité dans le canton de Vaud, qui n’ont pas existé dans le canton de Genève. Lors du vote de 1928, le Consistoire a voté à une très large majorité l’ouverture aux femmes. Tandis que lors du vote au Synode vaudois, en 1972, il y a eu encore un tiers de refus. Par contre, lorsque le ministère s’y est enfin ouvert aux femmes, il y a eu une égalité complète – en tout cas en théorie – entre les hommes et les femmes.

Où en est-on aujourd’hui?

On est à une proportion d’environ 40% de femmes pasteurs. La situation est donc globalement plutôt bonne, même s’il y a toujours des problématiques qui perdurent et des choses à améliorer. Je constate, par exemple, que certaines paroisses ont encore des réticences à engager une jeune femme pasteure, craignant qu’elle parte rapidement en congé maternité. Cette différence continue de peser sur les débuts de carrières des femmes pasteures.

Les femmes seraient vraisemblablement destinées au casse-pipe

Qu’ont apporté les femmes pasteures aux Églises réformées?

Chacune est individuellement différente, cependant je pense que les femmes ont amené beaucoup de créativité et de liberté, qui bénéficient d’ailleurs aujourd’hui aussi aux hommes. Jusque dans les années 1970, il y avait un modèle pastoral traditionnel masculin qui était très fort et figé. Or, comme les femmes n’entraient de toute façon pas dans le moule masculin traditionnel, elles ont pu inventer une nouvelle manière d’être pasteur, qui correspondait à leurs propres charisme, compétences et sensibilité. Le pastorat féminin a donc permis de diversifier la façon d’incarner le ministère.

Les revendications féministes sont encore très fortes au sein des Eglises réformées. Est-ce à dire que le pastorat féminin n’a pas réglé la question patriarcale?

Notre société est encore très inégalitaire et les femmes subissent encore beaucoup de discriminations et de violence. Il y a donc encore largement de quoi avoir un engagement féministe aux yeux de beaucoup de personnes dans l’Église, qui se mobilisent non pas uniquement pour la situation au sein des Églises elles-mêmes, mais dans la société en général.

Vous écrivez, en conclusion de votre livre, que si autant de femmes ont été nommées à des places dirigeantes ces dernières années, ce serait uniquement parce que l’Eglise va mal. Qu’elles seraient «vraisemblablement destinées au casse-pipe».

Je reprends ici le concept sociologique de la falaise de verre, soit le fait qu’on a tendance à faire parvenir des femmes aux plus hauts postes de responsabilité quand la situation est très critique et que, de fait, moins d’hommes veulent y aller. Je me demande si on n’assisterait pas à un phénomène un peu similaire dans les Eglises réformées. Être président d’Eglise n’est aujourd’hui plus synonyme de prestige, mais de poste exposé, où il faut défendre une institution en grande difficulté. Mais il faut aussi reconnaître qu’il y a aujourd’hui un plus large vivier de femmes compétentes et disponibles pour ces fonctions dirigeantes.

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